Compte rendu de la première rencontre Politiques Progressistes-Activistes du Libre



Mlle Melek Jebnoun, membre de la communauté du Logiciel Libre en Tunisie, avait résumé la thématique de la Table ronde par le mot Liberté : « les logiciels libres étant des logiciels dont l'utilisation, l'étude, la modification et la duplication, en vue de leur diffusion, sont permises, que ce soit sur le plan technique ou bien légal ».

La table ronde, prévue le 8 avril 2010 de 17h30 à 19h30 a commencé à 18h00 et s'est terminée à 21h00. Cette rencontre, préparée par M. Rafik Ouerchfani, Mme Ines Abdeljaoued et M. Taoufik Karkar, était organisée pour le compte du Mouvement Ettajdid à Tunis. Deux volets avaient été traités : le premier concernait le passé, le présent et l'avenir du Logiciel Libre en Tunisie. Le second volet portait sur le libre accès à l'information et aux données.


Il y a eu une trentaine de présents avec 5 interventions prévues : M. Raouf Bennaceur (Universitaire), Mme Mona Laroussi (Universitaire), M. Najib Farza (Expert), M. Samy Chapoutot (Entrepreneur) et M. Majed Khalfallah (Directeur à la Sonède). De plus, d'autres interventions ont suivi : M. Zied Ben Salem (Entrepreneur SS2L), M. Nicolas Diaz (webmaster pour la LTDH) et M. Paul Da Silva (Président du Parti Pirate Français). Des membres de la communauté du Logiciel Libre ainsi que des membres du public présent avaient pu s'exprimer sur la promotion de l'Informatique Libre.

Le Chairman, M. Taoufik Karkar, a commencé par souhaiter la bienvenue aux invités et à préciser que le Mouvement Ettajdid est un fervent défenseur du Logiciel Libres en Tunisie. Les permanents du Mouvement Ettajdid ayant pris l'habitude de travailler sur le système d'exploitation Ubuntu depuis 2005. Il a ensuite donné la parole à deux universitaires : M. Raouf Bennaceur avait fait un état des lieux sur l'utilisation des logiciels libres dans l'enseignement et la recherche. Dans le même cadre, Mme Mona Laroussi avait présenté l'enseignement à distance avec comme support des plateformes à formats ouverts.

Rassembler des e-enseignants en e-learning. Ces deux interventions ont mis l'accent sur l'importance de dépasser les entraves technologiques et institutionnelles. Ceci est possible grâce au partage de l'information ainsi que par l'intelligence collective. Ils ont invité les enseignants-chercheurs à se rassembler en tant que e-enseignants par l'encouragement des ressources à accès libre et gratuit, c'est-à-dire en tant que producteurs d'e-learning. Ainsi, les élèves, les étudiants et la plupart des corps de métiers pourront choisir au lieu de subir.
L'intervention de M. Najib Farza, expert et pionnier de l'Informatique en Tunisie (informaticien depuis 1969), avait mis l'accent sur l'ambiguité de la politique tunisienne concernant le Logiciel Libre. En dépit de l'existence d'un Secrétariat d'Etat dédié au Logiciel Libre depuis 2003, le gouvernement tunisien avait signé une convention sur 5 ans en 2006 et un gros contrat en 2011 avec une société de logiciels propriétaires. La stratégie du Libre en Tunisie n'est en fait qu'un leurre : le Secrétariat d'Etat au Logiciel Libre ayant toujours agit timidement, avec peu de mesures incitatives et peu de moyens.

Le secteur bancaire était touché avec des sanctions et des ventes de licences : M. Najib Farza avait rappelé qu'une enquête de Business Software Allianz en janvier 2001 avait entraîné le payement de plus de 1 million de dinars d'amendes et l'achat par la STB pour 472 millions de dinars de licences. Des sommes considérables sont en jeu alors que les retombés ne sont pas au bénéfice de la Tunisie mais de multinationales étrangères : les lobbyistes du Logiciel Propriétaire valorisent le service au détriment de la création et du développement de produits.

En effet, M. Samy Chapoutot, entrepreneur SS2L, avait relevé les vraies enjeux des logiciels libres dans le monde : près de 95% des serveurs tournent sur des logiciels propriétaires type APACHE contre 5% de propriétaires. Un simple utilisateur n'a pas idée des avantages indéniables des logiciels libres et ceci pour cause de matraquage publicitaire. Par exemple, l'interfaçage sur des logiciels libres est beaucoup plus simple à réaliser que sur des logiciels propriétaires, il est également sans coût. La créativité et la qualité des logiciels libres viennent de l'adhésion d'un nombre important d'utilisateurs. Aussi, l'aspect sécuritaire est sans commune mesure : la feuille de route du développement est dictée par l'utilisateur et non par le distributeur (comme c'est le cas des logiciels propriétaires).

Si on prend le cas de Microsoft Tunisie (qui est une société de seulement 20 employés) où les contrats de maintenance sont de 3 ans renouvelables à condition d'acheter une nouvelle licence dans 3 ans : c'est une société qui investit le monde de l'éducation sans établir de valeur ajoutée, par la distribution de franchises, de locations de licences, de certifications au détriment de l'innovation et de la création. Le mirage étant de croire que les logiciels propriétaires aideront à créer une industrie locale.

L'adaptabilité des logiciels libres représente une sorte de démocratie locale. Adopter les logiciels libres signifie une évolution certaine en terme d'innovation technique, économique et humaine.

Le choix de logiciels libres est un choix stratégique. Certains pays comme l'Allemagne, la Russie, le Brésil ont adopté entièrement ou partiellement ce système. M. Najib Farza avait attiré l'attention sur le cas d'Israel : une loi y interdit l’acquisition d'ordinateurs avec des logiciels pré-installés : cette disposition encourage le développement du Logiciel Libre au niveau des institutions publiques. Certaines administrations locales aux USA ont basculé vers les logiciels libres. Voilà donc la meilleure preuve que ce modèle fonctionne à très très grande échelle : l'échelle de pays.

La progression du Logiciel Libre est indéniable dans le monde puisqu'il en va de la souveraineté des Etats. Il y a un engagement fort, des investissements, une demande mondiale au niveau des logiciels libres pour se positionner sur cette niche. La prévision de développement du secteur du Logiciel Libre en 2011 est de l'ordre de 2,5 milliard d'Euros pour un volume global d'au moins 10 milliards d'Euros.

En Tunisie, le basculement vers les logiciels propriétaires touche aujourd'hui des secteurs stratégiques (bancaire, éducatif, juridique) et des domaines réservés (intérieur, défense) et il est important d'y remédier. La résistance s'est organisée d'abord au niveau de la communauté des enseignants (comme l'ont si bien rappelé M. Raouf Bennaceur et Mme Mona Laroussi) puis avec la prolifération de sociétés de service et des unités de support des logiciels libres (les certifications valorisent le choix des logiciels libres et assurent leur crédibilité sur le marché).

La circulation de l'Information. Qui détient l'information détient le pouvoir : les données sont obtenues grâce aux deniers publics devraient être à accès libre. M. Najib Farza a démontré l'importance de pouvoir, par exemple, disposer ouvertement des données de l'Institut National de la Statistique afin d'assurer le développement économique et social en Tunisie. Accéder aux informations, les traiter et les analyser en toute liberté (et non comme le voudrait les décideurs politiques d'avant le 14 janvier), déchiffrer l'information et le savoir mènerait au progrès et à la modernisation de la Tunisie. Les intervenants ont convergé vers l'idée de l'Open Knowledge (le savoir), de l'Open Governement (la gouvernance) et de l'Open Data (l'information).

Le témoignage de M. Majed Khalfallah, directeur Informatique à la Sonède, allait dans ce sens, mais plus encore dans l'intérêt de l'Informatique Libre pour des citoyennes et des citoyens libres. Sur un plan stratégique, M. Majed Khalfallah avait fait le rapport entre les logiciels libres et la pierre de Rosette : écrire un même texte en 2 langages différents avait permis de déchiffrer l'égyptien ancien grâce au grec ancien, est synonyme d'utiliser du code informatique sur des logiciels ouverts et connus (et non des boîtes noires comme c'est souvent le cas avec des logiciels propriétaires). D'où l'importance de garder la mémoire numérique d'un pays en développant sur des logiciels libres.

Sur un plan économique, M. Majed Khalfallah avait présenté des développement effectués par une équipe d'informaticiens tunisiens à Tunisie Télécom, où toute la chaîne prépayée était basée sur des logiciels libres. L'idée que le Logiciel Propriétaire est synonyme de professionnalisme est donc fausse, puisque des failles de sécurité sont souvent observés. En effet, l'armée allemande avait rencontré des problèmes de sécurité qui pouvaient être associés à de l'espionnage : elle avait alors décidé de migrer vers des systèmes d'exploitation libres pour des raisons de souveraineté.

Expériences dans la valorisation de l'emploi local. Un pays comme le Brésil avait choisit d’investir dans le Logiciel Libre (avec un système d'exploitation Ubutntu personnalisé à ce pays). Pourtant une multinationale avait alors proposée un package de 15$ sans succès (contrairement aux packages à 170$ achetés par le gouvernement tunisien). Pour M. Luiz Lula da Silva, il s'agissait de privilégier les intérêts du Brésil en terme de création de richesse, d'emplois et de sécurité.

M. Zied Ben Salem, entrepreneur SS2L, qui avait oeuvré à titre bénévole sur l'employabilité des jeunes diplômés du supérieur avait parlé de son expérience dans ce domaine. Un programme sans frais ni coûts contrairement au programme 21/21. Une réussite quasi totale qui a valu au programme d'être stoppé net par le ministère de l'emploi, parce que faisant de l'ombre au programme 21/21. Les référentiels du programme initiés par M. Zied Ben Salem ont été exportés en Inde où 3 cycles d'emplois avaient été validés.
Ces expériences montrent qu'une intelligence collective est plus fructueuse qu'une expérience individuelle. Cette opposition se concrétise parfaitement avec les logiciels libres versus les logiciels propriétaires.

Conseils sur des stratégies à suivre. Les perspectives du Logiciel Libre dans le secteur privé et le secteur public résident dans une assistance de qualité, un service de proximité, une absence de coût de maintenance et de licences. Le vide au niveau de la stratégie informatique en Tunisie pourrait être comblée par l'encouragement à la création d'unités de support (avec un investissement en ressources humaines et en moyens pouvant aller de 5 000 à 50 000 dinars et pourquoi pas beaucoup plus) afin de renforcer la communauté du Logiciel Libre et afin d'organiser des salons du Logiciel Libre au niveau national et régional.

Ceci dit, M. Najib Farza prends le soin de préciser que Logiciel Libre ne veut pas dire absence de Logiciel Propriétaire. Dans le but de dynamiser le secteur des services, de protéger notre pays des logiciels propriétaires pratiquant le back door (une porte secrète permettant au logiciel propriétaire de dérober à l'insu de l'utilisateur des données personnelles), M. Najib Farza a noté qu'une issue viable et crédible est possible pour l'administration qui devrait tenir un engagement ferme sur une utilisation proportionnelle ou totale du Logiciel Libre selon les secteurs. L'exclusivité étant difficile à vivre.

Des membres de la communauté du Logiciel Libre ainsi que des membres du Mouvement Ettajdid ont émis un certain nombre de remarques portant sur l'Informatique Libre. Beaucoup avaient notés qu'une forte pression est faite dans les entreprises publiques pour aller vers le choix du propriétaire et une faiblesse considérable est à noter du coté des défenseurs du Logiciel Libre.

M. Rafik Ouerchfani, fervent défenseur de Ubuntu (système d’exploitation Africain) porte la faute aux lobbyistes de l'Open source qui, selon lui, ont une grande part de responsabilités concernant l'échec de la politique du Logiciel Libre en Tunisie. Par exemple, la validation du dernier contrat (en date de mars 2011) entre Microsoft Tunisie et 3 banques publiques était négocié, sans tenir compte des différents décrets appelant à l'utilisation des logiciels libres dans les administrations, bloqué par le président déchu de la République Tunisienne mais signé deux mois après son départ par son successeur intérimaire ! M. Rafik Ouerchfani avait noté que ces lobbyistes n'avaient pas su défendre les intérêts du Logiciel Libre dans les sociétés publiques tunisiennes, laissant la porte grande ouverte aux lobbyistes du Logiciel Propriétaire.

Du coté des experts internationaux, M. Nicolas Diaz, webmaster de la Fédération Internationale des Droits de l'Homme, avait noté que la Tunisie était, pour les logiciels propriétaires, un laboratoire du Maghreb : le citoyen était considéré avant tout comme consommateur et non comme citoyen. La relation dangereuse entre Microsoft et le gouvernement tunisien est essentiellement visible sur la colonne vertébrale de la Tunisie : l'Education. La matière grise des tunisiens est en effet gâchée par des solutions toute prête : des licences de logiciels propriétaires étant proposés à 5D pour nos écoliers.

D'autre part, M. Rafik Rezin avait appelé la communauté du Libre en Tunisie à travailler d'arrache pied sur un système d'exploitation tunisien. M. Paul Da Silva, Président du Parti Pirate Français, avait noté l'importance pour les tunisiennes et les tunisiens de garantir, dans la constituante, l'utilisation des logiciels libres. La balle est aujourd'hui entre les mains de la communauté tunisienne du Logiciel Libre qui doit mieux s'organiser et se battre. M. Taoufik Karkar avait conclut la Table ronde par un appel à la communauté du Logiciel Libre en Tunisie : rédiger une charte sur l'Informatique Libre à l'intention des femmes et des hommes politiques, candidats à la constituante.

Ines Abdeljaoued Tej
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