Mauvais sang et Justice exceptionnelle

La crise de confiance entre le gouvernement actuel et les forces vives du pays est devenue insupportable. La crise de confiance entre les tunisiens et certains partis politiques aussi. Je me fais du mauvais sang en voyant l'état de division des partis politiques longtemps alliés mais aussi pour l'état exécrable de la justice tunisienne. 

La semaine dernière l'effervescence atteignait son comble et la délivrance est venue le lundi 15 aout : sur tout le territoire tunisien des dizaines de milliers de manifestants avaient dénoncé la situation de la Justice. Des syndicalistes et des militants politiques de tout bord, des magistrats, des membres d'associations et surtout beaucoup d'inconnus avaient montré leur détermination de voir la situation évoluer dans le bon sens. Ce forcing a commencé à donner ses fruits : hier le Colonel Marouan Bouguerra venait confirmer l'existence de snipers isolés et ça ne s'arrêtera pas là. Ce n'est certes pas assez (de mon coté j'attends le changement du Ministre de la Justice avec impatience) mais des propositions concrètes, présentés notamment par Ettajdid sur la Justice transitionnelle et la Justice exceptionnelle seront, je l'espère, bien vite adoptées. Une fois encore, seule la pression de la rue fait bouger le gouvernement.

Malheureusement, les carences et le déficit de ce dernier en terme de communication et de crédibilité ne seront levés que suite à des élections libres et transparentes. Or face à une rue effervescente, les partis politiques en Tunisie me donne du mauvais sang. Ce qui s'était passé lundi à Tunis est un excellent exemple. Une manifestation devant le palais de Justice avec deux partis les plus réactionnaires (CPR et PCOT). Du coté de la Bourse du Travail, les syndicalistes de l'UGTT accompagnés du Watad, de Afak Tounes, du PTT, d'Ettajdid, de Nahdha, d'Ettaliaa, d'Ettakatol et de bien d'autres encore. Au niveau de la place Mohamed Ali se trouvaient d'autres syndicalistes en conflit ouvert avec Jrad ainsi que des jeunes révolutionnaires (pour la plupart engagés dans des actions de terrain après le 14 janvier). Malheureusement tout ce beau monde aurait dû partir d'un même point, mais des calculs politiciens ont donné l'impression de cette division (heureusement que partout ailleurs en Tunisie, les marches étaient unifiées). 

J'étais au milieu des syndicalistes et de militants de divers partis à l'avenue Mohamed V, des amis à moi, syndicalistes ou militants d'Ettajdid, se trouvaient quelques rues plus loin entre les pattes de policiers incontrôlables. Je voyais l'étau se resserrer : un piège tendu aux forces progressistes, longtemps opposés à benali, se refermait. Je n'étais pas la seule à le voir : des syndicalistes à coté de moi avaient alors commencé à crier Jrad Dégage ! les militants de partis comme Ettakatol faisaient circuler sur Twitter une fausse information comme quoi Moustapha Ben Jaafar n'était pas en première ligne à coté de Jrad (ils avaient même osé prétendre que les photos les montrant côté-à-côte étaient anciennes ou truquées !).

J'avais l'impression de participer à une pièce de théâtre : connaissant les dessous du coup d'état pour dégager les Trabelsi, certains partis, parfois comme des charognards, couraient derrière leur part du gâteau. Ils n'avaient aucun mal à piétiner leurs principes (accepter de l'argent d'Hommes corrompus en échange de l'impunité, comme l'a fait le PDP dès le mois de janvier), leurs anciens alliés (principalement des syndicalistes), leurs idéaux modernistes (alliances douteuses avec des islamistes)... Mais que voulez vous, chacun est libre de choisir sa voie vers le pouvoir. Heureusement que des dizaines de milliers d'autres tunisiens, se sont réveillés cette semaine : ils étaient tous dans la rue pour passer un même message : NO PASARAN !! 

Je l'avais écrit sur ce blog, sur mon mur FB et sur Twitter. Je l'avais crié dans les divers marches que j'ai faite avec mes amis politiques : mes craintes se sont renforcés suite à la nomination de Béji Caied Sebssi, une preuve supplémentaire, malgré les protestations de Kasbah, du maintien des destouriens au pouvoir.

Puis est venu les tractations sur les candidats à la Constituante des RCDistes et la délivrance de visas pour des partis présidés par ceux-là même qu'il fallait exclure de la scène politique. Un nombre impressionnant de partis formés par ces opportunistes assoiffés de pouvoir. Comme-ci plus de 20 ans de règne n'étaient pas suffisant ! Ensuite, les simulacres d'arrestations et de procès : c'était pourtant clair, depuis le départ, que la justice traditionnelle n'allait pas pouvoir répondre aux attentes des gens de la rue (ni de l'élite d'ailleurs). On savait que les dossiers étaient vides et qu'il fallait une machine judiciaire irréprochable et des magistrats incorruptibles, pour juger des atteintes des Barbouzes et des Hommes de benali. Ceux-là même qui avaient asservis le pays, les médias, la justice, l'université au service d'un système despotique et totalitaire. 

Des partis comme Ettajdid ou le PTT, excellent dans les communiqués, les propositions concrètes pour sortir de la crise, mais est-ce suffisant ? En cinq mois, les observateurs de la vie politique tunisienne n'ont eu droit qu'à de la mauvaise foi, au mépris, à la dérision et même à l'affront. Le gouvernement opposait, à des attentes légitimes de tout un peuple pour juger les responsables des crimes de plus d'une vingtaine d'années, des procédures juridiques de lois pénales !! C'en était, à la fois, anachronique et accablant, sous couvert d'indépendance de la justice.

Il fallait répondre dès la nomination de Béji Caied Sebssi (en mars) à ces attentes : ne disait-on pas que la rue voulait se venger !! Certains avaient même profité de cette exaspération pour envenimer les conflits tribaux... Mais la majorité était bien plus raisonnables et continuait à faire confiance au système mis en place après le 14 janvier pour que Justice soit rendue. Or le gouvernement traînait à prendre ces décisions. Pire, il participait au désordre ambiant ne voulant toujours pas signer la loi sur les partis. Ceci signifie simplement que ceux qui ont vendu leur âme au diable peuvent continuer à le faire au détriment d'autres qui ont des principes et une éthique noble.

Les tunisiens sont encore dans la rue et principalement à Sfax. La pression est toujours aussi présente et je souhaite de tout mon coeur qu'on va être écouté et qu'une justice transitionnelle ainsi qu'une justice d'exception seront mise en place pour tourner définitivement la page à la corruption. En attendant, et c'est ma conviction profonde, même si les Hommes fort de l'ancien régime continuent à sortir du territoire tunisien, la justice finira par les rattraper TOUS.